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"Le miracle est notre liberté". Le siècle d'or de Florence Delay (Paris Sorbonne)

Publié le par Marc Escola (Source : David Alvarez Roblin)

« Le miracle est notre liberté »

Le Siècle d’or de Florence Delay

Journée d’étude

(LEMH, CLEA, Maria Zerari org.)

Samedi 15 mars 2025, 10h-18h

Sorbonne, Salle des Actes

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Hispaniste de formation, « littéralement agrégée à [l’Espagne]2 », Florence Delay a enseigné la littérature générale et comparée à l’Université de la Sorbonne Nouvelle. Membre de l’Académie française depuis le 14 décembre 2000 (au fauteuil de Jean Guitton, 10e fauteuil) et reçue le 15 novembre 2001 par Hector Bianciotti, elle est membre correspondant en France de la Real Academia Española depuis 2016.

Hispanophile, et basque de cœur, son regard fut très tôt attiré par l’autre côté des Pyrénées et cette Espagne qu’elle devinait ou contemplait, enfant, depuis la « colline des Landes » :

"Par temps clair, on la voyait, on la touchait presque entre Saint Pierre d’Irube et Hasparren, sur la route des cimes que les troupes napoléoniennes empruntèrent pour l’envahir. À la Chambre d’Amour ou à la Grande Plage, on avait l’illusion de nager vers elle. Une des portes de Bayonne portait son nom comme si elle donnait directement sur elle. Et je la voyais aussi de plus loin, par temps clair, depuis la colline des Landes où je passais une partie de mes grandes vacances3."

Tant et si bien que – magie du pays, magie de la lecture –, se sentant « la sœur des Pyrénées, à deux versants, à deux penchants4 », et en parallèle du domaine français (Larbaud, Giraudoux, Bernanos et autres), Florence Delay fait partie de ces quelques écrivains du XXe siècle qui ont fait de l’Espagne, de sa bibliothèque, de son musée, de ses arènes, leur pays de Cocagne. Un pays de foi et de (sin)razón, dont Florence Delay n’a cessé de parcourir les pages et les images, les songes et les visions. Une Espagne or et ciel qu’elle a su ingénieusement donner en partage comme l'écrivain de la « joie », de l’« exactitude » et de la « rapidité 5» qu’elle décida de devenir un jour.

Sa ferveur pour Federico García Lorca (que René Char l’incita à traduire), Miguel Hernández (qu’étudiante elle… étudia), Ramón Gómez de la Serna (qu’elle traduisit), ou son admiration pour José Bergamín – maître ès toreo « qui impressionna [sa] vie6 » (et qu’elle traduisit également) – n’ont jamais exclu son goût pour une Espagne plus ancienne, mais non moins nouvelle. Son amour du théâtre, précoce et jamais démenti – en tant que metteur en scène, critique ou auteur, l’aventure de longue haleine, la folie Graal Théâtre7 le suggère encore – s’est marié idéalement avec celui de ce répertoire espagnol dit « classique » en France. De telle sorte que, mariant à son tour la langue de Lucas Fernández8, Fernando de Rojas9, Calderón10, puis de Lope de Vega11, avec celle de Molière et de Racine, ou mieux, à la sienne propre, elle a aussi bien fait entendre des textes espagnols dans des traductions intégrales ou partielles12, lestées de la force des originaux, que dans des essais empreints de la grâce de la fiction. Aussi de A à Z, pour ainsi dire, du Cervantès de Don Quichotte et des « entremets13 », de Sigismond à Zurbarán et à ses saintes14, Florence Delay a-t-elle, en zizgag et non sans bifurcations, exploré l’Espagne des siècles passés jusqu’en Nouvelle-Espagne, jusqu’à Sor Juana15.

Amante des inflexions de la poésie et du son de la prose, cette romancière et essayiste l’est aussi de la brièveté qu’elle a appelé « séduction brève16 », de la « phrase célibataire », selon une autre de ses formules, de l’idée qui fuse en trait, jaillit comme l’éclair, frappe comme la foudre et transperce comme la flèche (ou file comme l’étoile ?). C’est ainsi que, même interdite, saisie par la « peur de penser17 » et arguant presque, avec Jules Renard, sur deux disparitions : celle du Graal emporté au ciel par Galaad et celle du roi Arthur emporté sur la mer… En nous inspirant des textes médiévaux tant français que gallois, anglais, allemands, espagnols, portugais, italiens, nous poursuivons les enchantements de ce que Dante appela “les si belles errances du roi Arthur”. Les scribes : Florence Delay, Jacques Roubaud » : ainsi est présenté Graal Théâtre (Paris, Gallimard, 2005) sur le site des Éditions Gallimard.

« Comme c’est vain une idée ! Sans la phrase, j’irais me coucher18 », elle n’en pense pas moins… et plus encore. Et ce, avec brio et discrétion, si l’on admet l’oxymore et les acceptions de l’éloquent substantif tout autant en français qu’en espagnol. C’est pourquoi, malgré « l’appréhension » (toujours mêlée d’audace, de panache et de bravoure intellectuelle), le estilo de idea, la « famille célibataire » (maximes, apophtegmes, greguerías, etc.), les phrases pensantes « qui vont toutes seules », les pointes d’esprit de Quevedo ou de Gracián, qui percent et laissent passer la lumière, ont aimanté sa plume et, à l’occasion, créé sa pensée de toutes pièces19.

Dans le cadre des recherches du LEMH (Sorbonne Université) et de l’axe « Le Siècle d’or vu par… », Maria Zerari a réuni un ensemble de chercheurs et d’auteurs qui mettront en lumière le Siècle d’or de Florence Delay : un Siècle qui, à la « lecture » et au gré des interprétations, telles les fidélités et les désobéissances, les personnes des vies brèves et les personnages d’une Fábula toujours recommencée et presque infinie, s’avèrera, sans nul doute, à la fois singulier et pluriel dans ses miracles et dans sa liberté :

L’or qui me fascine étant celui du théâtre, de la peinture, de la prose et de la poésie, mon Siècle d’or à moi anticipe celui des historiens. Il commence dans mon temps subjectif par le chef-d’œuvre d’un juif converti, Fernando de Rojas, qui dans son Livre appelé Célestine ouvre nos yeux sur ce qui régit et détruit le monde : l’appétit. Il s’achève après les Songes ou Visions d’un vieux chrétien, Francisco de Quevedo, qui voue aux gémonies la « Prospérité », démon redoutable, et dresse un constat d’échec à partir d’un concept ou d’un mot amer impressionnant, le desengaño20.

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Illustr. : Antonio de Pereda, El sueño del caballero (1650)1

Real Academia de Bellas Artes de San Fernando

Participant(e)s

Barne, Yannick (Docteur, Sorbonne Université)

Blanco, Mercedes (Sorbonne Université)

Chevalier Cueto, Clara (Doctorante, Sorbonne Université) Giraud, Paul-Henri (Université de Lille)

Guerry, François-Xavier (Université Clermont Auvergne)

Guilbert, Cécile (Écrivain)

Haas, Mathilde (Doctorante à Sorbonne Université)

Ranoux, Constant (Sorbonne Université)

Villalba, Victoria (Doctorante, Sorbonne Université)

Zerari, Maria (Sorbonne Université)

1 « Chaque fois que je retourne à Madrid, pas assez souvent à mon gré, je vais revoir au Musée de l’Académie des Beaux Arts de San Fernando cette merveilleuse Vanité d’Antonio de Pereda. Elle me conforte dans l’idée que la vie est un songe et le monde un théâtre. » (Florence Delay, Mon Espagne. Or et Ciel, Paris, Hermann, 2008, p. 146). Le tableau est aujourd’hui souvent attribué à Francisco de Palacios (1623-1652).

2 Id., Catalina, enquête, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 11.

3 F. Delay, Mon Espagne. Or et Ciel, op. cit., p. 7.

4 Id., Catalina, enquête, op. cit., p. 19.

5 Cité par Hector Bianciotti, voir Discours de réception de Florence Delay à l’Académie française et réponse d’Hector Bianciotti, Paris, Gallimard, 2003, p. 61,

6 F. Delay, Mon Espagne. Or et Ciel, op. cit., p. 102.

7 « Trésor épique et féerique, source d'un merveilleux qui enchanta l'Europe entière pendant des siècles, le cycle du Graal est d'une richesse encore peu explorée par les écrivains contemporains. Nous en avons tiré une suite dramatique en dix branches ou pièces, qui commence par la fondation de deux chevaleries : l'une céleste, par Joseph d'Arimathie, l'autre terrienne, par l'enchanteur Merlin. Elles se rejoignent autour du roi Arthur et de la reine Guenièvre à la Table Ronde. Viennent ensuite les Temps Aventureux dont les héros sont Gauvain, Perceval, Lancelot, Galehaut, les fées Viviane et Morgane, bien d'autres. Notre “roman breton” s'achève

8 Voir Lucas Fernández, Acte de la Passion, in Théâtre espagnol du XVIe siècle, Robert Marrast (dir.), Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1983.

9 Voir Fernando de Rojas, La Célestine, version courte, Arles, Actes Sud-Papiers, 1989 et 2007. 

10 Voir Pedro Caderón de la Barca, Le Grand Théâtre du Monde, suivi de Procès en séparation de l’Âme et du Corps, L’avant-scène théâtre, n° 1154, mai 2004.

11 Voir Félix Lope de Vega, Pedro et le Commandeur, L’avant-scène théâtre, n° 1214, décembre 2006.

12 À propos de La Célestine, elle écrit : « J’ai coupé selon des goûts clairs et des sensations obscures » (F. Delay,

Catalina, enquête, op. cit., p. 20).

13 Voir « Le premier chevalier » et « Entremets cervantins », in id., Mon Espagne. Or et Ciel, op. cit.,

p. 152-174. 

14 Voir F. Delay, Haute Couture, Paris, Gallimard, 2018.

15 Voir Sor Juana Inés de la Cruz, Le divin Narcisse. Précédé de Premier songe et autres textes, trad. par Frédéric Magne, Florence Delay et Jacques Roubaud, Paris, Gallimard, 1987.

16 Voir F. Delay, La Séduction brève, Paris, Gallimard, 1997, p. 11-31.

17 « En 1979, à Bruxelles, je fus invitée à un colloque sur la séduction. Le colloque m’intimidait, la séduction, moins. J’acceptais en dépit de l’appréhension : j’avais peur de penser. Pour réfléchir je prenais des détours inimaginables, j’écrivais des romans » (Ibid., p. 9, nous soulignons).

18 F. Delay, Zigzag, Paris, Éditions du Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 2023, p. 69. Zigzag est une version modifiée et augmentée de Petites formes en prose après Edison (Paris, Hachette, « Textes du XXe siècle », 1987), ouvrage publié par l’éditeur érudit Maurice Olender (1946-2022).

19 « Les formes brèves ici choisies n’illustrent pas ma pensée, elle la crée de toutes pièces. Zigzag est né d’elles, écrit pour elles, par elles. » (Ibid., p. 19-20).

20 F. Delay, Mon Espagne. Or et Ciel, op. cit., p. 150-151.